Motorisations alternatives
La motorisation électrique sur les bateaux est une interrogation récurrente. Les nombreuses contributions postées sur l’Excess Lab témoignent de l’émulation et de l’intérêt croissant autour de cette tendance.
Bien que les voiliers soient, par essence, des véhicules à propulsion naturelle, la demande de propulsions alternatives est incontestable. La réduction des émissions de CO2, mais aussi du bruit et des odeurs, sont des atouts majeurs pour améliorer le confort de nos croisières.
Il nous semble donc intéressant de faire un point sur les technologies disponibles, ou en développement. Nous allons tenter d’aborder ce sujet de manière pragmatique, de quantifier les bénéfices et inconvénients, d’éviter les idées préconçues ou les raccourcis. En somme de faire un état de l’art aussi objectif que possible.
Pour ce faire, nous allons questionner François Charrier, Chef de projet motorisation au sein du Groupe Beneteau.
François, on parle souvent de propulsion électrique, de quoi s’agit-il exactement ?
FC : Il peut s’agir d’une motorisation 100% électrique, ou bien un hybride (de deux sources d’énergie). A ce jour les technologies hybrides les plus accessibles associent un moteur thermique à un électrique. On retrouve en fait des notions très similaires à l’Automobile…
Ensuite sur les bateaux, en propulsion hybride, on peut distinguer deux concepts :
L’hybride en série, ou les deux sources sont n’ont pas de lien mécanique (exemple : un groupe électrogène qui alimente un moteur électrique et ses batteries).
L’hybride en parallèle, ou les deux sources d’énergie sont liées mécaniquement (exemple : un moteur thermique accouplé à un moteur électrique).
Avantages & inconvénients de l'hybride en série
Avantages
- Les composants de la chaine peuvent être positionnées librement dans le bateau.
- Possibilité d’avoir du 230VAC en navigation avec le groupe.
- Possibilité d’avoir du 230VAC sans bruit avec les batteries au mouillage.
- Pas d’inverseur mécanique sur la transmission.
- Système simple.
- Prix moins élevé que la solution Hybride parallèle.
Inconvénients
- Puissance de propulsion limité par la puissance du générateur.
- Beaucoup de pertes de performances occasionnées par le cumul des rendements.
- Poids plus élevé qu’une propulsion classique.
Avantages & inconvénients de l'hybride en parallèle
Avantages
- Compacte : le moteur électrique est couplé au moteur thermique.
- Disponibilité de toute la puissance du moteur thermique sur l’hélice.
- Sécurité : deux solutions de propulsions indépendantes.
- Possibilité de recharger les batteries lorsque l’on navigue en thermique.
- Possibilité d’avoir du 230VAC sans bruit avec les batteries au mouillage.
Inconvénients
- Prix plus élevé que le système Hybride en série.
- Complexité de l’installation électrique/mécanique.
- Complexité élevée de maintenance et d’utilisation.
- Poids plus élevé qu’une propulsion classique.
Quels sont les éléments qui permettent de choisir un type de propulsion pour un type de bateau ?
FC : Il y a beaucoup d’éléments qui peuvent impacter le choix de la technologie, mais il faut bien comprendre les capacités de chaque solution :
Le 100% électrique est limité par la capacité batterie. Il est donc plutôt approprié pour des usages ponctuels (navigation à la journée, sorties du port, croisières sur lacs, etc…). Pour des croisières plus longues en tout électrique il faut plus de batteries et le système devient rapidement inabordable. A l’avenir, si la baisse du coût des batteries continue, le 100% électrique sera de plus en plus autonome…
Dans l’hybride en série, la puissance disponible, une fois les batteries vidées, est limitée à la puissance du générateur. Il convient donc à nos catamarans de croisière, mais il faut avoir un usage raisonné de la puissance disponible.
Il est important que la taille du parc batterie et la puissance générateur soient adaptés à l’utilisation. Pour des utilisations sur quelques jours, on favorisera un parc batterie plus important. Pour des navigations de plus longue durée, on favorisera la puissance du générateur.
A l’inverse, en hybride parallèle, c’est toute la puissance du moteur thermique qui reste disponible, on a donc des capacités comparables à une motorisation thermique classique. Cependant, le mode électrique aura une puissance inférieure à une solution hybride série, il permet donc plutôt de naviguer à faible vitesse dans des espaces dégagés (mouillage par exemple). A ce jour la solution hybride parallèle reste la plus complexe et la plus coûteuse.
Je comprends que pour un Excess, les solutions hybrides s’imposent. Quelle puissance de moteur électrique, ou de groupe électrogène, serait nécessaire ?
FC : En fait, il faut regarder le système dans son ensemble. Un moteur électrique développe beaucoup de couple, dès le bas régime, il n’est donc pas toujours pertinent de comparer sa puissance à celle d’un moteur thermique. Par exemple, un moteur électrique de 10KW correspond littéralement à 13.4CV, mais peut éventuellement le comparer à un moteur thermique de 15 ou 20CV, si l’on considère le couple qu’il procure.
D’autre part, un moteur thermique n’est jamais utilisé à sa pleine puissance. En vitesse de croisière on est autour de 40% de la puissance max. On va ponctuellement entre 50 et 60% sur de courtes périodes. Dans la zone entre 70% et 100% de la puissance, on augmente très peu la vitesse (+5 à 10%) mais on double la consommation.
En motorisation thermique, on ‘surmotorise’ souvent les bateaux pour améliorer le confort (on navigue à 1800 tours et non à 3200, donc moins de bruit et de vibrations) et limiter la consommation.
En motorisation électrique, l’approche est différente car on peut faire tourner le moteur à pleine puissance sans augmenter la consommation ni impacter le confort. On dimensionnera donc le moteur en fonction de la vitesse de croisière, +10-20% pour une vitesse de pointe. C’est aussi une raison pour laquelle la puissance en kW est inférieure à un moteur thermique.
Dans le cas d’un montage hybride série, les groupes seront dimensionnés pour la propulsion, mais aussi pour les autres usages du bord (climatisation, etc…). Le moteur électrique lui, est dimensionné uniquement en fonction de la puissance nécessaire à la propulsion.
Dans un montage hybride parallèle, Le moteur thermique est généralement comparable à un bateau ‘classique’ pour offrir toute l’autonomie nécessaire, le moteur électrique vient en complément et offre du silence à basse vitesse, directement disponible à bas régime.
Dans tous les cas, la motorisation du bateau est liée à sa courbe de résistance, et quand on regarde la courbe typique d’un catamaran de croisière, on comprends que doubler la puissance peut doubler le poids, la consommation et le prix, mais ne double pas la vitesse !
Oui on voit que surmotoriser n’est pas une piste très séduisante ! Concrètement, une propulsion électrique, c’est beaucoup plus écologique qu’un moteur diesel classique ?
FC : Voici une excellente question, en fait tout dépend du programme et de l’usage du bateau :
Si l’on prend un œil purement technique, dans une solution hybride série on utilise du gasoil pour faire tourner un moteur thermique, puis convertir l’énergie en électricité via un alternateur, charger les batteries via un chargeur, puis reconvertir cette électrique en puissance mécanique via un moteur électrique, avant de le transmettre à l’hélice via un inverseur… Toute cette chaine crée beaucoup de pertes de rendement.
A l’inverse dans un bateau ‘classique’, l’énergie du carburant est directement convertie en énergie cinétique, avec moins de pertes. Son bilan ‘écologique’ est donc, à priori, meilleur…
En fait, les solutions hybrides deviennent très avantageuses à partir du moment où l’on charge les batteries avec d’autres apports (prise de quai, panneaux solaires, éoliennes, etc…). C’est quand même fréquemment le cas sur nos voiliers de croisière.
On ne peut pas regarder la propulsion électrique comme LA solution écologique unique et absolue, c’est une piste majeure mais il faut garder une vision globale de l’énergie à bord, et surtout réfléchir en termes de programme. C’est exactement la même démarche intellectuelle que l’on observe dans l’Automobile : Tout le monde comprend qu’une voiture électrique est idéale en ville, qu’une hybride apporte plus d’autonomie, et qu’une voiture diesel reste (à ce jour) imbattable sur les longs trajets d’autoroute…
Tu parlais de charger les batteries avec d’autres sources que le groupe électrogène, pourrait-on imaginer un bateau électrique ET uniquement solaire par exemple ?
FC : On peut tout imaginer, on est là pour ça… !
Mais il faut bien avoir en tête les valeurs dont on parle ici. Prenons par exemple un ‘petit’ moteur de 10kw, et des panneaux de 0.6m² (120W). Concrètement, le moteur à plein régime pendant 1h consommera autant que la production de 83 panneaux (57m²), tout ça en assumant un rendement solaire utopique de 100%…
Il faut envisager toutes les pistes, mais les ‘raccourcis’ en termes de technologie se heurtent souvent au principe de réalité…!
En somme pourquoi passer à l’électrique aujourd’hui, et pas hier, ou demain ?
FC : Hier, la technologie n’était pas vraiment disponible, les batteries plomb étaient trop lourdes et avaient un rendement déplorable, les batteries lithium étaient trop chères ou dangereuses, les moteurs électriques rares et non marinisés… La demande aussi, de la part de nos clients, était embryonnaire…
Aujourd’hui, avec les batteries Lithium-fer-Phosphates, nous avons un stockage au coût raisonnable, simple à implanter, fiable, et surtout très efficient. Les moteurs ont également beaucoup progressé, que ce soit en technologie brushless ou classique. Enfin (et surtout), les utilisateurs semblent prêts, et nous poussent vers ces innovations.
Pourquoi pas demain ? Pourquoi attendre demain ?! Passer à de l’hybride aujourd’hui c’est anticiper l’avenir. Au-delà de la propulsion, il faut rendre la production d’énergie à bord moins polluante et plus simple. Aujourd’hui, nous avons un moteur thermique pour la propulsion et un générateur pour le confort de bord. Demain, nous aurons une source d’énergie qui viendra alimenter un lieu de stockage (batteries) et des consommateurs (propulsion, clim, réfrigérateur, lumière, électronique, …). L’hybride série répond à ce nouveau schéma. Aujourd’hui, la source d’énergie est un générateur. Mais si demain nous avons une technologie de production d’énergie moins polluante qui devient fiable (hydrogène ou autre), il nous suffira juste de la substituer au générateur sans modifier le reste de l’architecture du système.
En guise de synthèse
On comprend que, selon le programme de navigation, une propulsion hybride-électrique n’offre pas forcément un gain décisif en termes d’impact environnemental. Si nous essayons maintenant de lister les autres atouts ou inconvénients de cette technologie, pour notre Excess idéal…
Les atouts :
- - Le silence
- - La polyvalence
- - La flexibilité
En petite croisière, navigation ‘confort’ offrant 2 ou 3 jours en toute autonomie et en silence.
En grande croisière, navigation ‘raisonnée’ en hybride. L’utilisateur bénéficie des avantages d’une propulsion électrique, et l’installation hybride lui permet d’affronter des conditions climatiques plus sévères.
- Naviguer plus longtemps à la voile
En effet, dans les petits airs, un moteur électrique permet de se créer du vent apparent pour profiter plus longtemps des sensations de voile… Nos propriétaires sont déjà sensibles à la consommation d’énergie à bord, mais lorsqu’ils ont une longue navigation sans vent, ils vont peut-être privilégier le moteur seul car faire du motor-sailing avec une propulsion thermique n’est pas très agréable. Demain, avec un moteur électrique, ils pourront en effet profiter plus longtemps des sensations de voile (c’est très Excess !) mais surtout consommer moins d’électricité pour la propulsion.
Dans ce cas précis la chaine hybride devient triple : Thermique-Electrique-Vélique, avec un rendement litre/mille encore plus flatteur !
- L’énergie globalisée
La propulsion électrique peut être vue comme une utilisation de l’énergie à bord, parmi d’autres… Repenser la propulsion permet de repenser l’ensemble de la gestion énergétique. Le parc batterie et les moyens de charge étant augmentés, c’est tout le confort à bord qui peut (qui doit) être repensé de manière plus globale (mais cela pourrait être l’objet d’un sujet Excess Lab à part entière !).
- La sensibilisation du skipper
Un des impacts de la motorisation électrique, que l’on observe souvent dans le monde de l’automobile, est la sensibilisation de l’utilisateur à sa consommation. Avec l’interface de contrôle de son moteur, le navigateur peut avoir une vue instantanée sur son autonomie en fonction de la vitesse. Cela peut l’inciter à naviguer de manière moins énergivore, et l’aider à mieux appréhender l’influence des vagues, du courant ou du vent sur l’efficacité de sa propulsion.
Les inconvénients :
- Le poids
Bien que cette notion soit très liée aux choix techniques et aux souhaits d’autonomie, on peut observer qu’un bateau à propulsion hybride est généralement plus lourd que son homologue Diesel. L’écart est plus faible en tout électrique, mais le poids du parc batteries efface bien souvent les gains sur le carburant et la masse des moteurs.
- Le risque
Une propulsion électrique de voilier fonctionne à des voltage élevés (de 40 à 350V selon les modèles, en courant continu. Le risque électrique n’est donc pas négligeable, et il convient d’être parfaitement formé et habilité avant de pouvoir ‘mettre les mains’ dans le moteur.
- Le surcoût
Que ce soit en tout électrique, en hybride série ou parallèle, ces solutions haut de gamme sont –à ce jour- plus coûteuses qu’une propulsion thermique. Reste à savoir combien le propriétaire est prêt à dépenser pour le silence, le confort et les nombreux atouts de ces technologies…
A last point is that you might make the parallel hybrid solution less expensive by removing the gear box and only use the electrical motor in the harbor.